Technologie innovatrice dans le secteur laitier: le cas du secteur fromager pour les petits ruminants dans les zones défavorisées

Jean - Paul Dubeuf

CIRVAL - BP 5 - F - 20250 CORTE

E- Mail : dubeuf@cirval.asso.fr


Les secteurs fromagers dans les zones à fortes contraintes sont aujourd'hui en face de nombreux défis pour l'avenir de leurs activités. Le secteur laitier des petits ruminants dans le Bassin Méditerranée est particulièrement caractéristique de cette situation. En s'appuyant sur ce cas qui constitue le principal secteur d'activités du CIRVAL, on montrera pourquoi et comment un partage de l'information scientifique, technique et économique entre les différents bassins contribuera efficacement à la nécessaire organisation des filières; ce partage, essentiel pour que les opérateurs apprécient leur propre situation au sein du secteur, passera vraisemblablement par une redéfinition des formes de dialogue, d'échanges et de confrontation.

1 -Un atout à conforter, des environnements à construire:

Le secteur laitier ovin et caprin est très diversifié en Europe. Tout d'abord un secteur industriel structuré et ancien coexiste avec des formes de production traditionnelles et artisanales ; mais le fait pastoral est un élément de base de la culture méditerranéenne qui globalement a permis la préservation de produits originaux et typiques liés à leur lieu de production

Ces fromages bénéficient d'une bonne image auprès des consommateurs et sont implantés sur des créneaux de marché assurant souvent de bonnes valeurs ajoutées (voir Tableaux n°2 et n°3); c'est cette valorisation qui permet le maintien de cette activité dans des régions aux faibles potentialités agroclimatiques. Cette remarque s'applique aussi en grande partie au secteur fromager au lait de vache dans les zones difficiles (Mahon aux Baléares, Ragusano en Sicile, Beaufort dans les Alpes, etc...).

Mais dans de nombreuses régions, ni la production ni la transformation ou la commercialisation ne sont organisées. A l'inverse, 3 produits d'appellation de type industriel conditionnent le marché (voir tableau n° 1) . Jusqu'à une période récente, cette situation ne posait pas de problème majeur ; dans un marché en forte croissance, ces trois fromages avaient une forte notoriété et peu de problèmes de débouchés.

Mais depuis plusieurs années déjà, cette situation a changé .

La saturation du marché intérieur et la baisse des restitutions européennes (Pecorino Romano), des changements dans les habitudes des consommateurs sur un marché du bleu très encombré (Roquefort) et la concurrence de produits laitiers à base de lait de vache (Fêta ) déstabilisent rapidement les rentes commerciales qui s'effondrent (baisse de 12 % du prix de la Fêta en 1996, de 20% du lait de brebis en Sardaigne, etc..). Dans ce contexte, en absence d'organisation commune des marchés, le secteur industriel cherche logiquement à se diversifier et tire les prix à la baisse. Ainsi de nombreux produits d'imitation des produits traditionnels sont proposés aux consommateurs qui ne les identifient pas toujours clairement.

Il faut donc que les acteurs économiques s'organisent pour faire reconnaître la spécificité des produits locaux et assurent leur promotion et leur distribution en dehors des marchés locaux où ils sont mal connus.

Au niveau de l'encadrement, les Services de développement agricole disposent de peu de références sur des modèles spécifiques : en élevage ovin, on ne se réfère qu'au seul modèle Roquefort et en caprin, au modèle intensif du Poitou Charentes. Les acquis de ces deux exemples pourraient être bénéfiques pour l'ensemble des bassins mais la mise en oeuvre d'un transfert de technologie cohérent implique qu'existent des services de suivi technico économique performants.

De plus, les réglementations européennes relatives aux normes sanitaires et d'hygiène vont imposer nécessairement une modernisation rapide des équipements (directive CEE 92/46). Le poids financier et la maîtrise de ces investissements sont fréquemment des causes de déséquilibre pour les unités de transformation artisanale ou fermière.

Le défi essentiel que doit relever le secteur est bien celui de sa professionnalisation.

2 -Organiser le partage de l'information

a - Elaborer l'information et disposer des références indispensables .

Des besoins en données technico économiques

L'élevage ovin/caprin dans les zones à fortes contraintes manque de données pour

Pour cela

il parait essentiel que les structures de développement s'organisent et proposent aux éleveurs et éleveurs - transformateurs des services adaptés à leurs besoins :

Renforcer le positionnement des fromages et leur renommée :

Les différents bassins de production doivent impérativement conforter leurs niches commerciales tout en améliorant leur compétitivité globale. Pour éviter que les produits d'imitation n'épuisent rapidement leurs notoriétés, l'organisation de démarches collectives est indispensable.

Elles conduisent d'abord à une identification des produits à travers, par exemple la mise en place de signes de qualités et à des études de caractérisation des fromages. Ce sont également des démarches collectives qui peuvent assurer la promotion des produits en dehors des marchés locaux et les structures et permettre une distribution régulière.

De nombreuses initiatives émergent dans plusieurs régions (plan Qualità Latte en Sardaigne, création de nombreux syndicats d'Appellation, etc...) mais elles doivent être confortées par un partenariat actif entre les acteurs de la production, de la transformation du développement et de la recherche.

a - Construire des espaces de dialogue, d'échanges et de confrontation.

Pour atteindre ces objectifs, une ouverture en dehors de bassins souvent isolés est indispensable. Il est nécessaire que se créent des réseaux dans lesquels participeraient des chercheurs, mais aussi des agents techniques, des acteurs économiques (transformateurs, éleveurs, responsables professionnels).

Il s'agit alors de diversifier les formes d'espace de rencontres pour combler l'immense déficit d'informations.

Les nouvelles technologies de l'Information comme Internet sont souvent présentées comme LA Solution à ces questions. Notre expérience nous incite à une plus grande prudence ; il reste beaucoup de chemin à parcourir pour que les infrastructures, mais aussi les mentalités permettent réellement l'appropriation de ces outils en dehors du secteur scientifique. En diffusant des informations simples et structurées, auprès de relais locaux, en organisant une concertation permanente entre professionnels, techniciens et scientifiques, il est possible d'identifier les marges de manoeuvre stratégiques d'un secteur porteur de beaucoup de craintes.

Contribuer à la création de ces espaces est une des fonctions essentielles du CIRVAL pour permettre le partage de l'information. A travers deux axes de travail ambitieux, l'organisation logistique d'un Observatoire des systèmes de production ovins et caprins et l'animation d'un pôle de compétence sur les fromages et produits laitiers ovins et caprins, il s'agit bien de mettre à disposition des filières ces outils d'interface indispensables.

C'est une démarche longue et difficile, confrontée à des contraintes structurelles, financières, institutionnelles. Mais aujourd'hui les secteurs laitiers et fromagers dans les zones difficiles doivent rapidement réussir leur modernisation .

Il ne s'agit pas d'une modernisation qui serait assimiler à une machinerie impersonnelle et anonyme, qui détruirait les traditions et conduirait à une homogénéisation des modes de production, des savoir faire, des goûts. La modernisation dont il est question ici est une démarche qui enrichit la tradition, la nourrit collectivement d'innovations en prenant en compte les intérêts de ceux qui la mettent en oeuvre.


Tableau 1


Production des fromages aux laits de brebis et de chèvre en Europe:

Quantités produites

tonnes

Fromages aux laits de brebis et de chèvre en Europe

( F.A.O. - 1995)

442 000
Fromages d'appellation (D.O.P.): 197 000
Fêta 78 000
Pecorino Romano 26 000
Roquefort 19 000
Pecorino Sardo 18 000
Manchego 3860
Fiore Sardo 2 000
autres D.O.P. 50 000



D.O.P. : Dénomination d'origine protégée

Diversité de la valorisation des laits de brebis et de chèvre

et des performances techniques dans quelques systèmes régionaux:

Tableau n°2 : résultats économiques

Région et Système: Valorisation du lait (écus/litre) Marge Brute/UTH (ECU) Année et Source Système de production
Murcia 0,42 -0,46 29881 1995CIDA/CIRVAL Caprin laitier artisanal
Navarre - ovin laitier 0,79 19429 ITGV Fromager
Navarre - ovin fromage 1,37 19666 ITGV Laitier
P Basque Français Bearn

transhumant laitier

0,89 10943 1995/SICACREOM Traditionnel laitier
PBasque Français Béarn

Ovin fromage

1.76 18461 1995/SICACREOM Traditionnel fromager
Corse - laitier 1.04 15000 1995/CA2A/CIRVAL Ovin Laitier
Basilicate - fromager 1,1- 1,95 13286 1995CIRVAL Ovin Laitier
Sardaigne - laitier 0;85 (1996)

0,68 (1995)

20318

18639

1995IZCS - ARA Ovin laitier

Tableau n° 3 : performances techniques des troupeaux

Système de Production Lait Total Lait / Brebis présente Concentré : kg/ brebis Concentré : kg/litre

moyenne et (extrèmes)

Navarre

Ovin lait


23366

72

110

1,5 ( 0,8 - 2)
Ovin fromage 17002 75 106 1,4 ( 0,8 - 2)
Pays Basque /Béarn

Ovin transhumant laitier


18000

90

70

0,8
montagne/ fromage 20000 125 70 0,6
Basilicate

fromager


14300

100

70

0,7 ( 0,3 - 1,5)
Corse

laitier


14 000

80

80

1 (0 -2)
Sardaigne ovin lait 60802 202 121 0,6 (0,2 - 1,5)



( sources : Enquêtes et suivis technico économiques )